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dimanche 14 juillet 2013

Mademoiselle Tartuffe


Chantal Jouanno est une ancienne ministre française chargée de la Jeunesse et des Sports. Disons que c'est une personne plutôt sympathique au premier abord, au physique avenant d'autant plus qu'elle est une sportive accomplie qui pratique tant les arts martiaux que le marathon. Ça nous change en tout cas de ces gens qui s'avèrent être de grands sportifs à vingt ans, et se retrouvent obèses et ventripotents à quarante.

Le problème est que toute sympathique qu'elle apparaisse de prime abord, Chantal Jouanno a un gros défaut : c'est une politicienne ; vous savez ?, ces gens qui n'avancent que groupés, pensent la même chose au même moment, trouvent que leurs propres idées sont forcément géniales, que celles de l'adversaire sont nécessairement erronées, etc., etc. Le b.a.-ba de la pensée politique.

Et voilà que, l'autre jour, Chantal Jouanno est interrogée sur une radio parisienne, alors même qu'une commission d'enquête sénatoriale planche sur des questions liées au dopage. Et c'est là que je me dis que l'on va certainement avoir droit à quelques perles. Et ça n'a pas manqué.

Extraits :
- On attend de nous qu'on soit dans la transparence.
- Ce serait grave qu'une commission d'enquête cache des choses aux Français.
- Publier les noms, c'est notre obligation.
Et gna-gna-gni, et gna-gna-gna, et patati, et patata, et bla-bla-bli, et bla-bla-bla...

Vous avez compris que Madame Jouanno était venue là pour défendre le principe d'une délation opérée par une commission sénatoriale de... - de qui déjà : sportifs, toutes catégories confondues, ou simplement de cyclistes ? - de sportifs ayant subi des tests anti-dopage il y a bien longtemps, les échantillons étant restés dans un frigo et re-testés des années plus tard par un laboratoire français, le tout grâce aux progrès intervenus dans la fiabilité des systèmes de détection des produits dopants.

La commission sénatoriale nous propose, donc, des expertises a posteriori, dont je n'ai pas toujours très bien compris quels sportifs elles concernaient.

Madame Jouanno parle de ne pas cacher la vérité aux Français. Cela veut-il dire que la fameuse liste ne contiendrait que des noms de Français ? 

Entre temps, 24 heures à peine avant le départ du Tour de France, un quotidien prétendument sportif, que, pour ma part, j'ai cessé de lire au lendemain de l'affaire Anelka (juin 2010), bénéficiait d'une "fuite" - on se doute bien de l'identité des auteurs de la soi-disant "fuite"  - suggérant très fort que les cibles visées étaient surtout des cyclistes, fuite selon laquelle Laurent Jalabert aurait fait usage de produits dopants dans le passé. Et voilà l'infortuné Jalabert renonçant à toutes ses activités de consultant en radio et télévision. 

Et c'est là qu'en entendant cette sénatrice blablater à la radio, j'oublie le look avenant et juvénile de Mademoiselle Jouanno et je me dis, dans ma Ford intérieure (1) : 
- Non mais qu'est-ce que c'est que ces conneries ?
De toute évidence, nos sénateurs, qui ont visiblement oublié qu'ils contribuaient à créer les lois, s'apprêtaient à s'asseoir sur quelques principes fondamentaux du droit, à savoir la non-rétroactivité des peines et la prescription des crimes et délits, avec cette conséquence extravagante que cet auguste aréopage de sénateurs va, de facto, ériger ce qui serait une contravention, au pire, un délit, à savoir le dopage, au rang de crime contre l'humanité (non susceptible de prescription) !

Affligeant !

Dans la foulée, j'écris à la Ministre en charge de la Jeunesse et des Sports, avec copie notamment au président du Sénat, et je me fends d'un deuxième courrier à l'attention de notre Tartuffe en escarpins et bas résille. 


(...)


Le 15 juillet 2013

Destinataire : Mme Chantal Jouanno, Sénat

Madame la sénatrice,

Votre récent passage sur une radio (RMC, Les Grandes gueules, 2 juillet 2013) m’a inspiré un courrier adressé à Madame la ministre de la Jeunesse et des Sports. Vous trouverez ce courrier sur mon blog, lequel courrier n’est, en réalité, que la réédition d’un courrier déjà adressé à un autre ministre de la Jeunesse et des Sports qui avait pour nom Jean-François Lamour.

Je vous cite : 
Publier les noms, c’est notre obligation.
On attend de nous (commission d’enquête sénatoriale sur le dopage) qu’on soit dans la transparence. Du point de vue des institutions…, ce serait grave qu’une commission d’enquête cache des choses aux Français.
On ne peut pas être sénateur et travailler la loi en la survolant.
Je vais vous faire un aveu : j’étais mort de rire en vous entendant, l’autre jour, et je me suis dit que vous et certains de vos collègues sénateurs aviez dû sécher les cours d’E.C.J.S. au collège, ce qui vous fait de sacrées lacunes en la matière, tout en vous faisant affirmer, sans rire, qu’on ne puisse pas être sénateur et travailler la loi en la survolant.

Entre nous, vous pourriez peut-être commencer par ne pas travailler la loi en la méconnaissant !

Par parenthèse, en livrant à la vindicte populaire le nom de Laurent Jalabert, vous et vos collègues sénateurs vous attendiez à quoi ?

Laurent Jalabert a-t-il été convoqué par un magistrat instructeur dans le cadre d’une procédure juridictionnelle pour dopage ? Est-il sous le coup d’une annulation de ses titres et victoires ?

Question : comment allez-vous expliquer au petit peuple que vous cherchez à mener en bateau les raisons de cette inaction publique contre Jalabert ?

Le fait est que n’importe quel bon élève de la 4ème des collèges vous expliquerait que Laurent Jalabert n’est menacé d’aucune procédure pénale ni même disciplinaire, et à cela, il y a de bonnes raisons.

L’E.C.J.S., au cas où vous l’ignoreriez, c’est l’Éducation Civique Juridique et Sociale. On y enseigne aux collégiens les bases du droit : notamment constitutionnel, civil, social et pénal. Et l’on y apprend, entre autres choses, aux élèves, quelques principes fondamentaux (les fameux principes généraux du droit) comme, par exemple, l’égalité de tous devant la loi, la non-rétroactivité de la sanction, ainsi que la prescription.

Contrairement à vous, madame la sénatrice (débutante ou stagiaire ???), les magistrats fonctionnent sur la base d’un vademecum en forme de garde-fou qu’ils ont, tous, à portée de la main, et qui s’appelle le Code de Procédure !

Aux États-Unis, le juge commence toujours par demander au shérif responsable de l’arrestation d’un délinquant présumé : « Lui avez-vous lu ses droits ? », et dans la négative, le délinquant présumé, même pris en flagrant délit, est remis en liberté sur le champ !

En France, à supposer que, par extraordinaire, un magistrat instructeur soit chargé du cas Jalabert, il se poserait deux questions préalables :

1. celle de la non-rétroactivité, à savoir la validité de ce « test anti-dopage » pratiqué de manière rétroactive quinze ans après, hors procédure et…
2.  celle de l'inévitable prescription.

Parce que, si vous n’aviez pas séché les cours d’E.C.J.S. au collège, vous sauriez, madame la sénatrice stagiaire, qu’il n’y a que les crimes contre l’humanité qui échappent à la prescription ; par voie de conséquence, et même à supposer que Jalabert ait été dopé il y a quinze ans – ce qu’il fallait démontrer à l’époque, conformément à la procédure en vigueur sur le Tour de France (échantillon A, échantillon B…) –, qu’il s’agisse d’une contravention ou d’un délit, à la date d’aujourd’hui, les faits sont prescrits !

Votre liste de noms, dont on sait pertinemment qu’elle ne sera pas exhaustive – le Tour de France a cent ans !, et il n’y a pas que le cyclisme – ne serait qu’un numéro de poudre aux yeux et de démagogie qui viendrait nous rappeler des temps, pas si anciens que ça, où il était de bon ton de dénoncer le voisin ou la voisine à la milice ! Car je n‘oublie pas que c’est une majorité de vos devanciers, députés et sénateurs qui, en 1940, ont remis les clés du pouvoir à Philippe Pétain !

En vous souhaitant bonne lecture (...), je vous prie d'agréer l'expression de mes salutations distinguées.

R. W.


(1) La Ford intérieure (= dans mon for intérieur) est un gimmick cher à San Antonio, alias feu Frédéric Dard.


Petit supplément illustré (Source : Éducation civique, Cahier d'activités, 4ème, Sous la direction de Anne-Marie Tourillon et Arlette Heymann-Doat, Nathan, 1997)



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